VU D'ICI...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ma vie entre les lignes.


Parmi mes frères, je suis la cinquième en commençant par les grands et la cinquième en commençant par les petits ; ma place n'a pas changé aussi ma vie. Nous sommes quatre filles et cinq garçons.
Je me rappelle très bien quand j'avais douze ans : on jouait avec mes frères dans la cour de la maison, une femme est venue chez nous pour nous dire qu'il fallait quitter la maison parce que c'était la sienne. Le soir, nous avons demandé à notre père, il nous a dit :
" J'ai oublié de vous dire que j'ai vendu la maison ça fait trois mois . "

On a déménagé dans une autre maison, plus grande, plus belle, mais on n'a jamais oublié que notre cher père, qui vivait avec nous jour et nuit, n'a pas trouvé le temps de nous dire une chose si importante ! J'ai toujours vu ma mère se disputer avec lui parce qu'il oublie toujours ses responsabilités… mais il n'a jamais frappé ma mère, la seule chose qu'il fait, c'est fuir pour ne pas l'entendre. Tout cela me touchait beaucoup alors.

C'est pour cela que j'ai décidé de terminer mes études pour que, si je vivais la même vie que ma mère, je puisse me débrouiller. Comme tout le monde, j'avais mes problèmes avec les filles et les garçons de la classe, des fois même avec les maîtres, mais j'avais toujours aimé être élève, j'avais toujours aimé l'école. Notre prophète a dit :
" A celui-là qui m'aide à apprendre une lettre, je ne pourrai jamais rendre le même service. "
Pendant les vacances du deuxième trimestre, en troisième année de collège, j'ai beaucoup préparé l'examen du brevet. J'ai fait un énorme travail sous les yeux de mon père. Je me rappelle : ma cousine m'a prêté une belle robe noire pour l'entrée à l'école et j'ai réussi à acheter un nouveau cartable. J'attendais le jour de la rentrée comme si c'était ma première année. Ce matin-là, je me suis réveillée à cinq heures mais je suis restée dans mon lit parce que l'école n'était pas si loin. A sept heures, ma chère mère ( la pauvre !) s'est réveillée pour nous préparer du café. Elle nous demandait de nous réveiller un par un, et quand elle s'est approchée de mon lit, elle a dit :
" Naïma, réveille-toi, c'est le moment. "

Tout à coup, j'ai entendu une autre voix :
" Laisse-la dormir : c'est fini pour elle. "
C'était mon père. C'était comme un coup de tonnerre, comme si je m'étais retrouvée seule dans un monde tellement noir ! Mon cœur voulait s'arrêter de battre…mais il ne pouvait pas. De l'autre côté, maman criait :
" Je ne te laisse pas faire ça à ma fille ! T'as déjà fait ça avec les deux autres, mais Naïma, non, elle va terminer les études ! "
Moi, je n'enlevais même pas la couverture. Mon père a répondu :
" J'ai dit non, c'est non ! Aucune fille de la famille n'a terminé ses études. Vous voulez me faire la honte ?
- Je m'en fiche de tout le monde ! C'est ma fille !
- Tu dois m'obéir sinon…
- Fais comme tu veux, moi je partirai. J'en ai marre d'obéir à quelqu'un qui ne le mérite pas et ne comprend pas ! "
J'ai beaucoup pensé, j'avais peur que maman nous quitte. J'avais peur qu'il la frappe à cause de moi. J'ai levé la tête et j'ai dit :
" J'irai pas à l'école. J'ai voulu arrêter avant…mais j'avais peur de vous. "
Maman a pleuré, mes sœurs aussi et… moi aussi, mais sous la couverture. C'était très dur, très lourd, très douloureux.
Je n'ai pas parlé à mon père. Trois mois après, il est parti au Maroc. Il m'a rapporté deux belles robes mais il savait très bien que cela n'allait pas me rendre heureuse. Avec le temps, j'ai décidé de lui pardonner : on ne doit pas détester ses parents.
Je savais que ma vie était déjà gâchée, mais j'avais un peu d'espoir. Quand j'ai eu dix-sept ans, j'ai voulu terminer mes études par correspondance. Ce n'était pas trop facile. Une amie m'a donné l'adresse, j'ai réussi à amasser l'argent (cinq cents dinars) malheureusement je n'ai pas trouvé quelqu'un pour m'amener à la Willaya et m'inscrire.
Une deuxième fois, j'étais désespérée, mais la vie continuait toujours.

Quand nous restions à la maison, jour et nuit, la vie ne passait pas vite. C'étaient des années très longues. Un jour j'ai entendu mon père parler avec ma mère au sujet d'un mariage. C'était mon mariage. Le lendemain, j'ai demandé à ma mère comment je pouvais épouser quelqu'un que je n'avais jamais vu. Elle m'a dit :
" Il a l'air gentil, il travaille, il vit seul avec sa mère et sa sœur ; il pourra te donner le bonheur et la sécurité et tu construiras une famille avec lui. C'est mieux que de rester avec ton père. A ta place, je ne resterais pas ici pour faire le ménage ! "
En premier, je n'ai pas voulu ; à un moment, j'ai pensé :
" Peut-être qu'il va me donner une belle vie, peut-être qu'il est gentil et je serai heureuse. "

Et à la fin, j'ai dit " Oui "…

Après mon mariage, j'ai toujours voulu avoir une personnalité visible, différente de celle de mon mari, je ne voulais pas devenir un objet dans sa maison, je voulais que ma voix soit entendue, je ne voulais pas devenir une ombre de femme car moi aussi, comme l'homme, je suis un être humain, je suis quelqu'un, je suis moi et ça ne changera jamais !
Depuis treize ans, nous vivons ensemble, j'ai eu deux filles avec lui.
Un jour, il y a cinq ans, mon mari a décidé de venir en France . Il a fait une demande de visa et deux mois après, il était là. Pendant ce temps-là, pendant huit mois, j'ai fait des études pour écrire et pour devenir journaliste par correspondance. Les résultats étaient excellents, mais pour avoir le diplôme, il me fallait vingt mille dinars. Après tout mon travail, je ne suis pas arrivée à obtenir mon diplôme !
Un an après, j'ai suivi mon mari, car j'étais perdue sans lui. C'était la raison que je disais à ma famille.
En vérité, j'avais une autre raison : de toutes mes forces, je voulais sauver mes filles d'un destin comme le mien, je voulais qu'elles terminent leurs études, parce que c'est l'éducation, seule l'éducation, qui protège les enfants. Avoir une personnalité forte, autonome et responsable avec une instruction supérieure permet d'accéder aux bons métiers et d'avoir confiance en soi, c'est ça le rêve que je veux réaliser pour mes filles.
Mais j'ai été vraiment étonnée et émue quand j'ai su que mon mari avait le même rêve que moi pour nos filles et ça a beaucoup changé mon opinion sur lui.
Mon problème, notre problème, maintenant, c'est notre situation irrégulière qui risque de nous faire retourner à notre petit village et, là-bas, je sais que l'Histoire, malheureusement, va se renouveler, une autre fois, pour mes filles.

Je serais heureuse, si nous pouvions construire une génération de femmes autonomes, libres et responsables. Rien qu'avec ça, nous pourrions avoir un monde sans complexes qui donnerait à chacun ses droits. Pour cela, j'aimerais aussi que l'instruction jusqu'au bac soit gratuite et obligatoire.
En tant que fille d'hier et maman d'aujourd'hui, je lance un appel à tous les parents dans le monde : il faut instruire les filles car ce sont les mamans de demain et elles sont aussi la moitié de ce monde. Imaginez un monde avec une moitié ignorante, faible, découragée et triste…

Il faut instruire les filles !

Naïma



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  © Naïma 2007


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